Le manager d’une entreprise privée de transports routiers se questionne sur la conduite qu’il doit adopter face à la demande d’un groupe de chauffeurs. Ces derniers sont venus le voir, inquiets au sujet de plusieurs collègues ayant annoncé qu’ils ne viendraient pas manger avec eux parce qu’ils suivent le jeûne (Ramadan, Yom Kippour). Le groupe demande au manager d’intervenir car de leur point de vue, la privation de nourriture et de boisson va empêcher leurs collègues de travailler normalement et risque de mettre en danger autrui.
Avis juridique
Il y a plusieurs aspects légaux:
- La convention collective de travail 38 oblige l'employeur à respecter la vie privée des travailleurs. Cela implique que les questions relatives à la vie privée ne peuvent être posées que si elles sont pertinentes en raison de la nature et des conditions d'exercice de la fonction.
- La liberté de religion et de conviction inclut le droit de ne pas révéler ses convictions religieuses.
- Suivant les règles de protection de la santé au travail, l’employeur qui constate que l’état de santé physique du travailleur le place dans l’impossibilité d’effectuer le travail convenu, quelle qu’en soit la cause, est libre de requérir l’examen de celui-ci par la médecine du travail qui décidera une éventuelle inaptitude à la fonction .
- En vertu des législations anti-discrimination, écarter préventivement un travailleur de son poste parce qu' il pratique le jeûne s'interprétera comme une discrimination directe si l’employeur ne dispose pas d’éléments concrets (attestation d’inaptitude médicale du médecin du travail par exemple) qui établissent que ce type de privation de nourriture rend la pratique de la fonction totalement impossible.
- La loi relative à la protection contre la violence et le harcèlement moral ou sexuel au travail, le fait d’adopter des comportements indésirables liés par exemple à la conviction religieuse d’une personne et qui ont pour effet de porter atteinte à sa dignité et de créer autour d’elle un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant
- ou offensant peut être considéré comme du harcèlement discriminatoire susceptible de recours devant les tribunaux du travail.
En tant qu’employeur, vous devez veiller à ce que chaque travailleur soit responsable et ait les capacités physiques suffisantes pour exercer sa mission. Pour ce faire, il est préférable que les responsables de l’entreprise mettent en place des mesures préventives. Une possibilité est la mise en place d’un règlement de travail qui décrive précisément la fonction et les normes de sécurité y afférentes. Si l'activité comporte un danger physique majeur, ce n'est pas la pratique du jeûne qu'il faut questionner mais plutôt la répercussion du jeûne sur la qualité du travail (productivité, problème d'organisation, perte d'aptitude). S’il y a un danger manifeste (ex : risque de sommeil), le manager doit intervenir en collaboration avec la médecine du travail ou le conseiller de prévention afin de vérifier si le travailleur est apte à exercer la fonction et d’évaluer s’il est possible de modifier quelque peu l’horaire ou les tâches par exemple.
Avis au manager
Ce qu’il faut éviter de faire :
- Demander systématiquement aux salariés porteurs d’un prénom à consonance musulmane « s’ils se sentent bien en cette période de ramadan » (l’individu concerné qui pourrait se sentir discriminé sur base de son apparence physique et son origine)
- Demander qui « fait ramadan » : cela entre en contradiction avec les conventions collectives de travail 38 et 38 sexies et avec la liberté religieuse qui inclut le droit de ne pas révéler ses convictions religieuses. Par ailleurs, si c’est répétitif, ça peut être qualifié de harcèlement moral.
Ce qu’il vaut mieux faire :
- Rappeler dans le plan de prévention des risques professionnels élaboré par le Comité pour la prévention et la protection des travailleurs et dans sa description de fonction, dès son entrée en fonction, l’importance d’être dans un état physique adéquat pour remplir sa mission et lui demander de s’y engager. Cela permet de poser clairement les conditions et les aptitudes nécessaires à la mission et de pouvoir intervenir en cas d'entrave.
- Ne pas hésiter à solliciter le médecin du travail qui est le seul à pouvoir constater légalement une inaptitude.
Lorsque vous êtes confronté à ce type de demande, nous conseillons la négociation. Souvent, la façon d’arriver à une solution est tout aussi importante que la solution elle-même. Si la question n'est pas débattue, vous risquez de gérer des rapports de forces nuisibles, des frustrations, des tensions qui peuvent entraîner une escalade. Il est dès lors préférable d’accueillir toute requête afin de respecter le principe de la liberté individuelle (culturelle ou pas). Il n'y a pas de solution type mais quel que soit le contexte de l'entreprise, il s'agit de privilégier la concertation et éventuellement la négociation dans un cadre collectif afin de trouver des réponses qui apportent un bénéfice à tous-tes.
La négociation sur les pratiques religieuses
Dans le cas d’espèce, vous pourriez dans un premier temps, après discussion et concertation avec les travailleurs concernés et les partenaires sociaux, envisager l’adaptation temporaire des tâches et/ou de l’horaire des travailleurs pratiquant le jeûne afin d’assurer la sécurité et le bon fonctionnement de l’entreprise.
Deux possibilités :
- Si une telle mesure est possible, il faudra aussi gérer l'inquiétude des autres collègues, en informant et en formant à la prévention sur le harcèlement moral. Il pourrait être utile, à cet égard, d’organiser une session d’information afin d'expliquer en quoi consiste le ramadan et faire part des modalités pratiques de ces accommodements temporaires.
- Si une telle mesure n'est pas possible car elle impliquerait une charge de travail trop importante pour les autres travailleurs, une ineffectivité du service ou un danger manifeste par exemple, vous pourriez envisager d’écarter temporairement un travailleur qui pratique le jeûne si vous disposez d'éléments concrets et objectifs émanant du médecin du travail qui attestent que le travailleur en question est inapte à exercer la fonction pendant la période de jeûne.